MPCE : Une refonte visuelle qui soulève des interrogations sur notre identité

L’armoirie : sacrifiée sur l’autel de la « modernité » ou écartée stratégiquement ?

L’ancien logo du MPCE arborait l’armoirie nationale, avec ses symboles forts : le palmier, les canons, les drapeaux, notre devise fondatrice : Liberté – Égalité – Fraternité. Ces éléments ne sont pas de simples ornements. Ils représentent une mémoire collective forgée par l’histoire révolutionnaire d’Haïti menée par Dessalines, Toussaint, Pétion, Capois-La-Mort et tant d’autres artisans de notre indépendance.

Moderniser l’image d’une institution est légitime. Mais moderniser ne devrait jamais signifier désancrer ou délégitimer nos symboles fondamentaux. Or, le nouveau logo du MPCE dénature l’armoirie au profit de formes stylisées et de codes graphiques empruntés à d’autres univers, peut-être celui du développement international.

Une rupture silencieuse mais lourde de sens

Cette évolution graphique, loin d’être anodine, traduit un glissement symbolique : celui d’un ministère de la République vers une agence de développement à l’esthétique globalisée. En supprimant l’armoirie, on ne redéfinit pas seulement un logo, on altère l’identité visuelle d’un État souverain.

Dans un contexte où la gouvernance haïtienne traverse des turbulences majeures (insécurité chronique, fragilisation des institutions, dépendance accrue à l’aide internationale), cette initiative pourrait être perçue comme un symptôme d’un effacement progressif de l’État républicain au profit d’une logique technocratique internationale.

Le flou autour du processus : transparence ou manquement démocratique ?

Le communiqué du 30 septembre 2025 annonce fièrement les résultats du concours, vantant la rigueur du processus de sélection. Pourtant, plusieurs zones d’ombre demeurent :

• Qui a composé le jury ?

• Quels étaient les critères de sélection ?

• L’exclusion de l’armoirie était-elle une exigence formelle du cahier des charges ?

En matière de gestion publique, surtout lorsqu’il s’agit de symboles d’intérêt national, la transparence n’est pas un luxe, mais un devoir. Il est impératif que les processus décisionnels soient traçables, consultatifs et inclusifs — en particulier lorsqu’ils concernent des marqueurs identitaires constitutionnels.

Le designer n’est pas en cause, mais la vision stratégique l’est

Yves Martin Rosier mérite d’être salué pour sa victoire dans le cadre du concours. Il a répondu à une commande, dans les termes définis. Mais la question centrale demeure :

Qui a pris la décision d’exclure volontairement l’armoirie nationale, et dans quelle logique stratégique ?

Il ne s’agit pas ici de juger une création graphique, mais d’interroger une orientation politique implicite. Effacer un symbole constitutionnel, c’est poser un acte d’une portée bien plus vaste que celle d’un simple changement d’image : c’est redéfinir la place du politique, du national, dans l’imaginaire institutionnel.

Une esthétique « internationale » : pragmatisme ou aliénation visuelle ?

Le nouveau logo du MPCE évoque les codes des ONG, agences multilatérales et programmes de coopération. Cette convergence graphique interpelle.

À force de ressembler aux bailleurs, nos institutions risquent de s’effacer derrière leur langage visuel. Une nation souveraine ne devrait pas avoir à choisir entre efficacité technique et affirmation symbolique. Elle doit pouvoir parler le langage du monde sans renier son propre lexique historique et politique.

Pendant ce temps, la République attend des réponses

Haïti traverse une crise systémique : violence, migration, désespoir social, fragilité institutionnelle. Dans un tel contexte, la priorité d’un ministère comme le MPCE — qui a pour mission de penser l’avenir du pays — ne devrait-elle pas être tournée vers la reconstruction nationale, plutôt que vers un changement d’identité graphique dépouillé de ses fondements ?

Oui, une image moderne peut être un levier de communication. Mais une image sans mémoire est une coquille vide. Ce que demande aujourd’hui le peuple haïtien, ce n’est pas un logo nouveau, mais un État solide, lisible, cohérent dans ses symboles comme dans ses actes.

L’armoirie comme bien commun inaliénable

L’armoirie nationale est bien plus qu’un visuel : elle est une synthèse historique, un marqueur institutionnel, un symbole de résistance. Sa disparition du logo du MPCE crée un précédent dangereux.

Il est légitime de se demander : existe-t-il un cadre légal ou réglementaire sur l’usage de l’armoirie dans l’administration publique ? Et sinon, ne conviendrait-il pas d’en élaborer un, afin de protéger notre patrimoine symbolique contre les dérives esthétiques ou politiques ?

Un débat national s’impose

Ce cas précis en révèle un plus vaste : quelle place accordons-nous aujourd’hui aux symboles de notre République ?

Dans une époque marquée par l’instabilité, ces symboles sont des points de repère essentiels. Les effacer ou les marginaliser revient à priver le peuple d’un lien de continuité avec son histoire.

Moderniser ne devrait jamais signifier s’aligner à tout prix. Haïti peut et doit innover, mais dans le respect de ce qui la fonde. Le MPCE a le droit de revoir sa communication, mais pas au prix de l’effacement de notre identité constitutionnelle.

Ce débat est essentiel. Il dépasse les considérations graphiques : il touche au cœur de notre souveraineté narrative, symbolique et identitaire.

Fito Damour

Expert en systèmes d’information

Coordonnateur de la Plateforme d’Accélération Technologique d’Haïti (PATH)

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